Audition du collectif Lutte HSM (harcèlement sexuel et misogyne/misogynoir) : prendre la mesure d’un fléau
- Arnaud Saint-Martin
- 24 sept. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 sept. 2024
La semaine dernière, avec Nadège Abomangoli, vice-présidente insoumise de l’Assemblée nationale, et Aly Diouara, député insoumis de Seine Saint-Denis, nous avons auditionné le collectif Lutte HSM. Retour sur cette rencontre.
Souvenez-vous. Fin août. Sur le réseau social X (ex Twitter), une tendance a émergé pendant quelques jours : le (hashtag) #AntiHSM. Pour anti Harcèlement sexuel misogyne et misogynoir.
Puis, quelques jours plus tard, sur le même sujet, un space Twitter avait réuni 18 000 personnes à minuit. C’est beaucoup. Enfin un collectif s’est créé.
Le collectif Lutte HSM s’est donc monté après le succès du hashtag du même nom. Au départ, il s’agit de 14 femmes qui évoquent entre elles et dénoncent ensuite publiquement sur les réseaux sociaux les problèmes liés au harcèlement sur Twitter (désormais X), à la misogynie, et surtout à une forme très spécifique de misogynie : la misogynoir. Nous y reviendrons.

Les député·es Saint-Martin, Abomangoli, et Diouara auditionnant le collectif anti HSM
Sur le réseau social X, le hashtag #AntiHSM est donc né à l’initiative de ces 14 femmes, réunies pour mettre en lumière et dénoncer le harcèlement constant en ligne, qu’elles-mêmes et des milliers d’autres femmes subissent. Puis, en quelques jours, 40 000 tweets. Le hashtag a été en tendance pendant trois jours sur le réseau social, et a réuni des dizaines de milliers de témoignages, de dénonciations, de remerciements et de libération de la parole. Quelques jours plus tard se formait le collectif Lutte HSM.
Nous les avons donc rencontrées le 16 septembre 2024, pour qu’elles nous parlent de ce collectif, de la misogynoir et du harcèlement sur les réseaux sociaux. Ce qui émane de cette audition, c’est l’urgence.
L’urgence d’une régulation du numérique et des réseaux sociaux. En effet, surtout sur Twitter et Telegram, mais aussi sur le réseau social TikTok, de plus en plus de communautés d’hommes ouvertement racistes et misogynes se constituent. Ils agissent en toute impunité sur des réseaux consultés par des millions de personnes, et notamment des jeunes. Selon les trois membres à l’origine du collectif, depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, les haines se sont attisées, et la régulation a quasi disparu. Pire encore selon les créatrices du collectif, « le Twitter français est connu dans le monde entier pour son racisme ». Lorsqu’une femme noire, peu importe sa nationalité, française, anglaise ou américaine, internationalement connue, ou inconnue du grand public, poste un message sur les réseaux, ne serait-ce qu’une photo d’elle-même, et qu’elle subit du harcèlement injustifié, le racisme le plus décomplexé émane régulièrement, et le plus souvent, témoignent-elles, du Twitter français.
Aujourd’hui, le Twitter français se concentre de plus en plus autour de comptes très suivis, avec beaucoup d’abonnés et d’audience, comptes qui jusque dans leur description ou dans leur nom, sont ouvertement sexistes et misogynes, et publient plusieurs fois par jour en prenant des femmes pour cibles, femmes de tout âge, tous horizons, et souvent non blanches. Et ces comptes rassemblent autour d’eux d’autres comptes, réels ou non d’ailleurs, et constituent une communauté prête à harceler et à se déchaîner en meute, pour assouvir sa soif de supériorité et de patriarcat. Pédopornographie, deepfake, revenge porn, menaces, etc. : les femmes sont victimes de ces bandes machistes qui se défoulent en toute impunité, et dont les agissements et les propos restent impunis.

Le collectif anti HSM à l'Assemblée nationale
Sur TikTok, ces « tendances » se répandent et touchent généralement les plus jeunes. Sur Telegram, réseau de discussion qui regroupe plus d’un million d’utilisateurs et dont, rappelons-le, le PDG a récemment été arrêté en France, des groupes réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes, auxquelles on accède facilement via un lien, existent dans le seul but de harceler des jeunes femmes noires. Certains harceleurs paient même des hackeurs pour trouver des photos privées de jeunes femmes noires, les diffuser sur ces canaux de discussion, et trouver leurs adresses, pour les menacer. On se croirait dans un épisode glauque de Black Mirror, mais, en réalité, il s’agit bien là de nos réseaux sociaux et du manque de régulation de la France et de l’Union européenne.
Mais ce n’est pas ici la seule problématique qui a été soulevée lors de notre échange. S’il faut réguler les réseaux sociaux, former les jeunes, dès le collège, former des équipes de modérateurs, former la police et nos institutions judiciaires à prendre, recevoir et traiter les plaintes pour cyberharcèlement, il faut aussi former l’ensemble de la population sur ce qu’est la misogynoir. La notion de misogynoir a été forgée par Moya Bailey, aux États-Unis ; elle désigne une misogynie dirigée spécifiquement contre les femmes noires. Elle en parle dans son essai They aren’t talking about me paru en 2010. Si ce terme est à peu près compris aux États-Unis et dans les pays anglophones, comme toujours, la France a plus de difficultés à l’intégrer. En effet, la France s’enorgueillit de son mantra habituel, de son aveuglement à toute forme de racisme, que résume si bien cette expression encore aujourd’hui trop souvent utilisée : « En France, on ne voit pas les couleurs ». Ceci évidemment a contrario des milliers d’études critiques sur la race et les discriminations subies spécifiquement par les personnes racisées. Lorsque des femmes noires essaient de parler spécifiquement de misogynoir, et de la discrimination qu’elles subissent, située à l’intersection du sexisme et du racisme, mais aussi de l’appartenance de classe, on les accuse d’importer une notion américaine qui ne s’appliquerait pas à la France et/ou de se victimiser. Or cette notion a toujours eu une réalité matérielle, qui gagne en visibilité avec le déferlement de haine sur les réseaux sociaux – déferlement non sans lien, à n’en pas douter, avec la poussée d’une extrême droite décomplexée.
Aujourd’hui, il est presque impossible de porter plainte pour misogynoir. Les femmes qui ont essayé essuient des refus de prise en compte de la plainte, ou un classement sans suite. Il est donc grand temps de mettre l’accent sur cette question et de parler réellement de la misogynoir comme une forme de discrimination à l’intersection du racisme et de la misogynie.
Il faudra également d’urgence :
- Développer des politiques de sensibilisation auprès des écoles, des plus jeunes, dès le collège et le lycée ;
- Sensibiliser et former au sein des commissariats ;
- Renforcer les moyens humains des autorités en charge des contrôles, de la régulation et de la modération dans le numérique ;
- Mettre la pression aux réseaux sociaux au niveau des équipes de modération ;
- Investir la misogynoir : nous avons besoin d’enquêtes à ce propos, de chiffres, d’études et de moyens ;
- Un réel plan de lutte contre le sexisme et le racisme, y compris sur les réseaux sociaux.
Autant de pistes d’action à construire, émergées à l’épreuve d’une mobilisation en cours, que les militantes du collectif Lutte HSM entendent mettre à l'agenda. Nous les y aiderons.
Retrouvez ici leur interview à Konbini
Et leurs réseaux sociaux :

Le collectif anti HSM à l'Assemblée nationale