Ce que j'aurais aimé dire à Patrick Hetzel
- Arnaud Saint-Martin
- 14 nov. 2024
- 5 min de lecture

Si le « socle commun » (sic) soutien du gouvernement n’avait pas voté contre son propre budget (!) mardi 12 novembre, avec la complicité du Rassemblement national, et n’avait pas décidé de balayer les 75 milliards d’euros de recettes supplémentaires gagnées, en majeure partie, par le Nouveau Front Populaire, nous aurions pu débattre des dépenses du projet de loi de finances. Avec le rejet de la partie recettes du Projet de Loi de Finances ce mardi, la partie dépenses ne pourra pas être examinée par l’Assemblée nationale, et est automatiquement considérée comme rejetée, alors même qu’elle n’a jamais été examinée en hémicycle. Ce matin, devaient être votés les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche. Avec les députés insoumis, nous avions déposé une trentaine d’amendements, proposant notamment la création d’une allocation d’autonomie universelle, la suppression de l’ANR et du HCERES, votés en commission, la titularisation des précaires de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR), ou l’augmentation des bourses.
Ces amendements ne seront pas discutés. Nous ne pourrons pas mener le débat à l’Assemblée, et nous ne pourrons pas, ne serait-ce qu’évoquer la situation dramatique dans laquelle se trouvent les étudiants, les personnels de l’ESR et l’université toute entière. Pourtant, nous nous y étions préparés. Puisque je n’ai pas eu l’occasion de prononcer ce discours face au ministre de l’ESR Patrick Hetzel, je pose ça par écrit. Face au déni démocratique, nous tiendrons bon, et nous ne nous tairons pas.
Tribune
Vivre avec 633 euros par mois. 633 euros, c’est en dessous du seuil de pauvreté, et c’est même moins que le RSA.
Pourtant, c’est ce que le gouvernement inflige aux étudiants les plus chanceux avec leur projet de loi de finance. En 2024, un étudiant à l’échelon maximal de bourse, l’échelon 7 (et encore ils ne sont que 6 % à y avoir droit) vit avec au maximum 633 euros de bourse par mois pour se loger, se nourrir, se soigner, étudier, et se chauffer. Pour les autres, c’est encore pire.
La précarité étudiante explose. La situation de l’université est catastrophique, et l’enseignement supérieur suffoque.
En 2024, plus d’un jeune sur trois déclarait sauter régulièrement des repas. 18% des étudiants ont recours à l’aide alimentaire ; un jeune sur 10 qui en bénéficie a déjà dormi dans sa voiture, faute de logement. La moitié des étudiants a déjà dû renoncer à des soins médicaux, faute de pouvoir les avancer. Un jeune sur deux travaille pour financer ses études.
La détresse est partout, elle est financière, physique et psychologique, puisque 41 % des étudiants présentent des symptômes dépressifs.
On pourrait continuer l’énumération encore longtemps : alors qu’il manque au moins 250 000 logements étudiants, que de nombreux logements existants sont insalubres, et remplis de nuisibles, le gouvernement a choisi de laisser le CNOUS (Centre National des Oeuvres Universitaires et Scolaires) augmenter l’ensemble des loyers de 3,5 % en cette rentrée.
Le coût de la vie augmente, les frais d’inscription et la CVEC aussi, les loyers également, mais les bourses diminuent par rapport à l’inflation.
Pourtant, une autre université est possible ! Au Danemark par exemple 90 % des étudiants ont droit aux bourses, alors qu’ils ne sont que 30 % en France.
Comme à son habitude, le gouvernement va faire semblant de s’émouvoir des longues files d’attente devant les distributions alimentaires, mais va continuer dans l’austérité, va écraser les étudiants et l’université sous le poids de ses politiques en faveur du privé, des grands établissements, et d’une soi-disant excellence calquée sur des classements internationaux sans sens et sans consistance.
Finalement, j’aurais aimé m’adresser au ministre de l’enseignement supérieur : vous essayez sciemment de faire des économies sur le dos des étudiants, et vous agissez à tout prix contre l’émancipation des jeunes travailleurs intellectuels, et contre la diffusion du savoir. C’est, en réalité, votre projet politique qui entretient la précarité étudiante, et ceci en pleine conscience. Pourtant, une autre université est possible.
M. le ministre, votre mandat a déjà fort mal commencé. Vous avez décidé de présenter votre projet gouvernemental, non pas devant l’ensemble des syndicats représentatifs des étudiants ou devant le CNESER, non pas devant les milliers d’étudiants qui se mobilisent pour leur conditions d’étude et que vous réprimez violemment, mais au congrès du syndicat de droite et d’extrême droite de l’UNI, en vous auto-congratulant de l’austérité que vous alliez imposer au secteur de l’ESR. Obscurantiste et réactionnaire, voilà une bien belle entrée en matière.
Concernant la recherche maintenant, elle non plus n’est pas en reste. Elle souffre d’années de destruction organisée, de course à l’excellence, de surfinancement du privé, des fusions d’établissements à tout-va, des classements internationaux, et de la précarisation organisée des chercheurs et de l’ensemble du champ. Le nombre de vacataires explose, ils représentent aujourd’hui 65 % des enseignants et sont payés deux fois moins que le SMIC.
Les doctorants et les personnels sous-payés et maltraités s’épuisent dans le modèle que vous leur imposez, ils perdent leur temps et leur énergie dans des réponses à des appels à projets, entretenus par des mécanismes bureaucratiques néolibéraux comme l’ANR et le HCERES, organisation nuisible que nous avons d’ailleurs supprimée en commission des finances. En mettant en compétition les chercheurs, vous détruisez la recherche française, et l’ensemble des personnels qui la rendent possible.
7 milliards par an sont dilapidés dans le CIR. La manne est captée essentiellement par des entreprises privées qui optimisent sous couvert de recherche et de développement. Au même moment, la recherche publique est exsangue.
Vous choisissez les recherches que vous financez, on se souvient bien M. le ministre qu’en dépit de toute la liberté académique que le camp présidentiel fait pourtant si mal mine de soutenir, vous aviez déposé une commission d’enquête sur les dérives islamogauchistes dans l’enseignement supérieur. Commission nulle et non avenue, contestée par l’ensemble de la communauté, rédigée avec les pieds. Vous choisissez de caresser le flanc de l’extrême droite en vous battant contre le « wokisme », notion piégée bien faite pour attiser les haines et les peurs. Faute de tropisme universitaire, vous usez en réalité de trumpisme universitaire, et détruisez la connaissance, le savoir, la liberté et l’indépendance des étudiants, de l’université, et de l’ensemble de ses personnels.
Une autre université est possible. En commission des affaires culturelles, nous avons remporté, avec le NFP, 2 milliards supplémentaires pour la recherche, 8000 allocations doctorales supplémentaires, la titularisation des contractuels volontaires, la gratuité des repas Crous, l’augmentation des bourses de 200 euros et leur annualisation. Je tiens d’ailleurs à remercier les syndicalistes étudiants présents en tribune aujourd’hui (oui, une dizaine de syndicalistes étudiants étaient censés venir en tribune aujourd’hui pour assister au débat qui les concerne en premier chef. Leur venue a été annulée.). Chaque jour, ils se battent pour qu’une autre université soit possible, ils organisent des distributions alimentaires pour pallier votre inaction, ils défendent la jeunesse parce que les gouvernements successifs ont décidé de l’oublier.
Parce qu’une autre université est possible et parce que la jeunesse mérite mieux et le sait, nous porterons leur voix, leurs aspirations, et leurs revendications dans cet hémicycle (soupir…). Nous nous battrons pour l’émancipation de la jeunesse, pour une allocation d’autonomie universelle, qui permettra aux étudiants de suivre leurs études sans mourir de faim, et sans avoir à se salarier pour les financer. Nous défendrons une université et une recherche financées à la hauteur de leurs besoins, de meilleures conditions de travail pour l’ensemble de ses personnels, et la titularisation des contractuels. Nous nous battrons pour une université publique, loin de toute logique de concurrence et du darwinisme social à tous les étages, qui apprend et qui émancipe. Collègues, je n’aurai de cesse de le marteler, une autre université est possible.