top of page

Le duo Trump-Musk : la menace fantôme d’une Amérique « astrofascisée »


ree

Extrait d'une tribune publiée le vendredi 13 décembre 2024 dans le Nouvel observateur

Pour le député et sociologue Arnaud Saint-Martin, l’astrofascisme est la rencontre du millénarisme technolâtre du patron de Tesla et du fascisme de l’« America First » du prochain président des Etats-Unis.


Le 19 novembre 2024 a lieu le sixième lancement du Starship,lanceur le plus puissant de l’histoire de l’astronautique. Le président Donald Trump – réélu 15 jours plus tôt – assiste à la scène, casquette « MAGA » (Make America Great Again) vissée sur le crâne. Non loin du pas de tir de la « Starbase » de SpaceX à Boca Chica, au Texas, le spectacle globalement concluant a valeur de symbole et de menace : celui d’une Amérique conquérante et à nouveau à l’avant-garde de l’humanité, ouvrant la « nouvelle frontière » façon Far West. Gare à quiconque n’emboîterait pas le pas.


Que Trump fasse le déplacement n’est guère surprenant. Elon Musk a donné de sa personne et de sa fortune pour faire triompher Trump. De meetings électriques en « posts »compulsifs sur le réseau X (ex-Twitter) qu’il a racheté en 2022 et brutalement mis au pas, il n’a pas cessé de vanter la candidature du milliardaire new-yorkais. L’investissement était objectivement rentable puisque sa fortune est désormais évaluée à près de 450 milliards de dollars, ce qui fait de lui l’homme le plus riche de l’histoire – merci Trump. Inimaginable il y a encore quelques mois, ou à tout le moins pas encore à l’ordre du jour, cet alliage baroque entre Trump et Musk n’a rien pour rassurer. Pour les derniers progressistes, les défenseurs des libertés publiques ou les communautés racisées, c’est la promesse d’un énorme bond dans le néant organisé par une ploutocratie barbarisée.


Trump n’a pas de mots assez tendres pour qualifier le génie de son protégé. Les réalisations de l’entrepreneur en série parlent pour lui. SpaceX a littéralement laminé la concurrence plus de vingt ans après sa fondation par Musk. L’entreprise est désormais un mastodonte industriel et commercial : c’est le premier transporteur vers l’espace et le premier opérateur de satellites de télécommunications via sa filiale Starlink – qui a saturé l’orbite terrestre basse par sa flotte de 6 800 satellites (plus de 40 000 à terme). L’histoire de Tesla, l’entreprise-qui-a-révolutionné-l’industrie-automobile, est certes moins linéaire, mais le résultat est là : sa valorisation est stratosphérique, indécente. Quel que soit le secteur, la stratégie de Musk est la même : il s’agit, à chaque fois, d’accélérer les déploiements, de tester les systèmes jusqu’à la rupture, puis de changer d’échelle par une industrialisation à marche forcée, massive, visant à prendre les concurrents de vitesse, pour enfin aspirer tout le marché par une offre aussi monopolistique qu’inévitable. Le coût humain, écologique et financier de cette « méthode » n’est pas indolore, mais Musk est assez malin pour sublimer l’effort par une « vision » qui séduit encore des foules toutes acquises à ses monocauses. C’est Mars ou crève, l’alignement désastre, et dans un proche avenir l’humanité – celle des plus aptes, blancs, purs et virils – sera interplanétaire, donc pleinement réalisée.

Pour Trump, les états de sévices de Musk sont autant de gages de confiance. On ne saurait rêver mieux pour « nettoyer » le marécage de Washington. L’installation à venir de Musk à la direction de l’improbable « DOGE » (Département de l’Efficacité gouvernementale), en tandem avec l’entrepreneur anti-woke, climatosceptique et ultra-conservateur Vivek Ramaswamy, promet d’être fracassante. L’inspiration doctrinale est moins celle des libertariens, réclamant toujours moins d’Etat pour restaurer la liberté, que celle de la « révolution » néo-conservatrice reaganienne. L’objectif affiché est de privatiser l’Etat fédéral, de le dépecer et in fine de le transformer en entreprise une bonne fois pour toutes. Cette recette néolibérale est désastreuse, elle a coulé durablement les États-Unis, ses infrastructures et ses services publics, mais cette clique-là gouverne contre les faits et par obscurantisme, donc rien ne saurait leur barrer la route. Parmi les chantiers du ministre Musk, des plans de suppression d’emplois massives, une dérégulation tous azimuts et une coupe dans les dépenses publiques de 2 000 milliards. Ces sabrages concerneraient l’éducation, les (maigres) retraites, l’audiovisuel, le planning familial, etc., bref ce qu’il reste de « main gauche » de l’Etat fédéral américain. Une saignée criminelle.


Au même moment, c’est la promesse de surenchère dans les mêmes domaines où Musk casse la baraque. Les conflits d’intérêts sont consubstantiels à cet engagement, mais visiblement cette nouvelle administration s’en moque. Déjà bras armé de la Nasa et du Pentagone, côté obscur de la Space Force, SpaceX va consolider son monopole. L’entreprise laisse des miettes aux derniers concurrents du complexe militaro-industriel qui ont survécu à l’écrasement. L’homme d’affaires milliardaire Jared Isaacman est placé à la tête de la Nasa. Nul doute qu’il saura faire l’article pour SpaceX, qui lui a permis – pour au moins 200 millions de dollars – de réaliser la première sortie extravéhiculaire « privée » de l’histoire le 10 septembre dernier. Il se pourrait que cette nomination entraîne des recadrages de la politique spatiale états-unienne, en particulier un abandon d’Artemis, le programme de retour sur la Lune tel qu’il a été pensé ces dernières années, ainsi qu’une mise au rebut de la mégafusée lourde de la Nasa (Space Launch System, 4,1 milliards le vol) et de la station lunaire (Gateway), bientôt remplacés par le Starship. Pour les space enthusiasts hantés par la colonisation martienne, à commencer par Musk et peut-être bientôt Trump, l’étape lunaire est une perte de temps et d’argent… Un défi de « losers ». Ainsi s’insinue l’astrofascisme, c’est-à-dire la rencontre du millénarisme technolâtre muskiste et du fascisme de l’« America First », actualisé par Trump et ses sbires placés à Washington.

En attendant l’investiture le 20 janvier prochain, sur les mêmes marches du Capitole que les fous de Trump ont foulées il y a quatre ans, c’est la culbute à Wall Street pour les valeurs de la tech et l’euphorie dans les milieux d’affaires. La parade de Trump et Musk lors de la réouverture très cathodique de Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024, laisse augurer le genre d’hégémonie décomplexée que cette administration Trump II entend construire avec l’assentiment d’un cortège de nations vassalisées, dont la France – pétrifiée d’admiration et de frayeur. Il est difficile d’anticiper les suites. Il se pourrait que, pour X raisons, cette entreprise de destruction méthodique s’effondre. Ou que Musk ne fasse pas le dixième de ce qu’il a annoncé (et tant mieux), et que Trump soit empêché par un « big government » résilient (et tant pis). Mais si d’aventure cet alliage passe l’hiver, il y a tout lieu de s’en alarmer, car c’est la promesse d’un saccage social et environnemental à grande échelle, d’une part, et d’une Maison-Blanche au service des puissances de l’argent comme jamais auparavant d’autre part. Une calamité s’abattrait sur le monde, et au-delà. On ne peut pas s’y résoudre.


Arnaud Saint-Martin est député LFI de Seine-et-Marne. Il est aussi sociologue, spécialiste du New Space, et auteur avec Irénée Régnauld du livre « Une histoire de la conquête spatiale » (La Fabrique).


bottom of page