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[Note de blog] : Le ministre de l’université cède à nouveau aux paniques morales de l’extrême-droite


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Alors que les mobilisations pour la paix reprennent en ampleur dans les universités, ce week-end, face à la contestation populaire, les médias, fiers d’eux, ont trouvé une nouvelle polémique sur laquelle surfer. C’est leur nouvelle excuse pour taper sur La France Insoumise et sur les mouvements sociaux de jeunesse : vendredi 4 octobre à l’occasion d’une conférence, Jean-Luc Mélenchon a invité les étudiants à hisser des drapeaux palestiniens et libanais dans les universités. Cette déclaration était en partie en réponse à l’attaque aux libertés fondamentales menée par le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur Patrick Hetzel, par le biais d’un communiqué de presse largement diffusé sur ses réseaux sociaux, mais surtout en réaction aux évènements récents.


La semaine dernière face aux centaines d’étudiants mobilisés dans plusieurs universités en France pour la paix et le cessez-le-feu à Gaza, à l’approche de l’anniversaire des massacres et des crimes de guerre du 7 octobre et du génocide à Gaza qui a suivi ; mais aussi en réaction aux bombardements dans le Sud du Liban par Israël, le Ministre a choisi de faire taire les voix de la paix. Il s’est fendu d’un communiqué plus que menaçant sur ses réseaux sociaux, destiné aux présidents d’université, « condamnant fermement ces actions, qui iraient à l’encontre des principes de neutralité et de laïcité du service public de l’enseignement supérieur. »


D’abord, que ce soit posé là, Patrick Hetzel a tort. Il évoque le sacro-saint « principe de neutralité », principe tordu dans sa conception, et surexploité par Gérald Darmanin l’année dernière pour réprimer les grèves du secteur public, notamment pendant la réforme des retraites. Parmi les centaines d’excuses trouvées pour réprimer les mouvements sociaux, P. Hetzel a donc choisi celle du principe de neutralité. Mais pourquoi ? Le service public a effectivement un principe de neutralité : les agents publics doivent traiter toutes les personnes de façon égale, et ne pas se servir de leur fonction pour faire du prosélytisme. En revanche, ce principe ne s’applique pas aux usagers des services publics. Imaginerait-on contrôler la neutralité politique des usagers des transports en commun ? Imaginerait-on interdire l’expression d’une religion ou d’une opinion au sein d’un service public ? Il n’en est pas question. 


Les étudiants peuvent être considérés comme des usagers de l’université, en plus d’en être des acteurs incontournables. Ils ne sont donc pas soumis au principe de neutralité. Le conseil d’État l’a d’ailleurs rappelé par un arrêté sur la question du port du voile dans les universités. Les étudiants, au contraire, bénéficient de la liberté d’association, de réunion et de manifestation, tant que cela ne trouble pas le bon fonctionnement de la recherche. Pourtant, aujourd’hui, les droits fondamentaux des étudiants, leur liberté de réunion, et l’essence même de l’université, lieu de diffusion du savoir sont bafoués, arbitrairement, par un gouvernement répressif et autoritaire.


Que Patrick Hetzel le veuille ou non, les professeurs aussi ont droit à la liberté d’expression. Ils ont également droit aux libertés académiques, libertés qu’il a pourtant essayé de neutraliser par sa proposition de créer une commission d’enquête sur les « dérives islamo-gauchistes dans les universités », alors même qu’elles n’ont aucune réalité matérielle scientifiquement étayée, et qu’elles partent d’une polémique créée de toute pièce par le Rassemblement National, reprise à leur compte par le gouvernement de l’époque et par Patrick Hetzel. On notera au passage que le RN et ses alliés ciottistes vient de déposer une proposition de résolution  « tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’infiltration des idéologies contraires aux valeurs de la République dans l’enseignement supérieur ». On est curieux de voir comment le ministre se positionnera vu que cette PPR reprend les termes de la sienne qui reprenait déjà les éléments de langage et d’idéologie de l’extrême-droite (l’économie de cette doxa réactionnaire est décidément très circulaire).

Rappelons également qu’il a rédigé une proposition de loi un peu avant de devenir ministre visant à criminaliser les étudiants qui bloqueraient leur campus. Il fait en réalité partie d’un continuum qui vise à détruire les libertés académiques, et la mobilisation des étudiants au profit de l’ultralibéralisation et de la privatisation de l’université. Hetzel s’inscrit, en cela, dans les politiques gouvernementales de destruction de l’ESR, menées depuis des années, et notamment depuis la loi LRU, dont il a été l’un de ses artisans.

Ce qu’aurait dû dire le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche aux présidents d’université, c’est que les libertés académiques doivent à tout prix être protégées. Que les libertés fondamentales des étudiants et des professeurs sont mises à mal et qu’ils sont les garants du respect de ces droits. Qu’aujourd’hui des voix de la paix s’élèvent dans les universités, que ça a toujours été le cas, dans tous les pays, de toutes les années, en réaction à toutes les guerres, et que ces rassemblements, ces voix, ces mouvements sont précieux, qu’ils prennent corps dans les universités, et qu’ils doivent à tout prix être protégés.

En fin de compte, la lettre que le ministre a envoyée aux présidents d’université, rendue publique en catimini quelques jours après son communiqué, ne reprend pas le principe de laïcité, ni celui de neutralité. Elle invite simplement les présidents d’université à faire respecter l’ordre public, tout en rappelant la loi sur la liberté de réunion, d’expression et d’association. Il faut croire que les coups de pression sur le réseau social X (ex-Twitter), de la part de la communauté ESR et des syndicats a fonctionné. On peut en conclure que son communiqué de presse n’était qu’un coup de communication pour les réseaux sociaux, visant à faire réagir, et à se poser en défenseur de la droite extrême qui souhaite à tout prix faire taire les voix de la paix.


Bien qu’on ait limité la casse, ce n’est tout de même pas anecdotique. Avec ce communiqué, qui laisse entendre que les étudiants violent par avance le principe de neutralité et la laïcité, le ministre verse dans une rhétorique qui puise dans le corpus de l’extrême-droite. Il choisit également de surfer sur ces idéologies rances qui visent à assujettir les étudiants à une utilité purement économique, en leur demandant de se contenter d’étudier à l’université, sans chercher à faire de celle-ci le lieu d’échanges, de diffusion du savoir, de construction de soi et d’exercice de la citoyenneté qu’elle incarne pourtant depuis toujours. L’histoire lui donne tort.


Patrick Hetzel participe à la course médiatique à l’extrême-droite, et choisit de faire parler de lui dès les premières semaines de son bref mandat, alors même que la situation de l’enseignement supérieur tout entier et de la recherche également est plus que préoccupante. Les étudiants ont toutes les peines du monde pour se nourrir, ne peuvent plus se loger, les vacataires sont précaires, la recherche est toujours sous-financée, il manque des logements, des places à l’université, des professeurs, des titulaires… Voilà des problèmes autrement plus urgents à affronter, et de longue date ! Faute de donner à l’université les moyens dont elle a besoin, il préfère stigmatiser les étudiants. Faute de construire des places à l’université, il préfère bâillonner les étudiants et les personnels.

C’est une constante historique : l’université fait peur à la classe dominante, car elle participe de l’émancipation par la connaissance ainsi qu’à la formation des mouvements sociaux progressistes, mais aussi des mobilisations pour la paix partout dans le monde. De ce fait, depuis le début du mouvement pour la paix au Proche-Orient, le gouvernement cherche à faire taire les voix de celles et ceux qui se mobilisent pour le cessez-le-feu. Les partisans de la paix connaissent une répression accrue, tant dans la rue que dans les universités. La jeunesse est maltraitée, violentée, les assemblées générales sont interdites, des rassemblements sont annulés à la dernière minute et interdits dans les universités et sur l’espace public, comme le fut la conférence de Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon à Lille.


La rapporteure de l'ONU à la liberté de réunion et d'association l’exprime d’ailleurs en ces termes : « La répression brutale du mouvement de protestation dans les universités est une menace profonde pour les institutions et systèmes démocratiques ». Et en outre : « Après discussion avec 150 personnes de 30 pays, étudiants et enseignants, je peux conclure que la situation entourant les manifestations et la solidarité internationale avec le peuple palestinien au sein des universités, associée à des réponses institutionnelles inadéquates, révèle un environnement largement hostile à l'exercice des droits de liberté pacifique de réunion et d'association. »


Ainsi, lorsque Jean-Luc Mélenchon réagit au communiqué de presse de Patrick Hetzel et invite les étudiants à venir à l’université avec des drapeaux palestiniens, tout en spécifiant, juste après dans une phrase minutieusement coupée par l’ensemble des médias qui l’ont relayé que « de toute façon vous n’avez pas besoin de moi pour le faire », il se place, encore une fois, du bon côté de l’histoire. La jeunesse étudiante a en tout temps porté les mouvements pour la paix dans le monde. Et pas seulement en France. On se souvient de l’opposition à la guerre au Vietnam aux États-Unis qui fut sans précédent, et qui avait pour épicentre, les universités du pays. En France, depuis les évènements tragiques du 7-Octobre, les universités se mobilisent en soutien aux peuples palestiniens et libanais. Les mobilisations d’ampleur, notamment à Sciences Po en mai dernier, ont été réprimées par les forces de l’ordre, appelées pour mettre fin aux blocages.


Des étudiants sont toujours sous le joug des sanctions imposées arbitrairement par les universités qui semblent avoir oublié que l’histoire des mouvements de jeunesse et des mouvements pacifistes s’est la plupart du temps construite au sein des universités.

Aujourd’hui, en encourageant les étudiants à venir à l’université avec des drapeaux palestiniens, en leur disant de s’opposer à cet interdit, nous souhaitons simplement protéger la liberté d’expression, la liberté d’association, et empêcher la criminalisation des mouvements sociaux de la paix et de la solidarité avec le peuple palestinien. Nous serons toujours du côté de la paix, nous serons toujours du côté du droit, et tous ceux qui s’en insurgent aujourd’hui sont complices de la répression organisée par un gouvernement qui, faute de protéger l’ordre public, choisit de régner par le chaos, par et pour ses propres intérêts.

 


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