Octobre rose : luttons contre le cancer du sein !
- Arnaud Saint-Martin
- 4 oct.
- 5 min de lecture
#Positions #OctobreRose Durant tout le mois d’octobre est organisée une campagne de sensibilisation au dépistage du cancer du sein. Cette initiative a vu le jour il y a quarante ans, et c’est maintenant ritualisé. « Octobre rose », ruban rose, en guise de signaux distinctifs, combinés à des manifestations publiques et des collectes de fonds partout où c’est possible : c’est de bonne méthode pour accélérer la prise de conscience que le cancer du sein est une saloperie curable si elle est précocement dépistée (cela dit, des controverses existent sur « bénéfice-risque » du dépistage systématique et à grand échelle*). C’est un moment de vulgarisation à propos des étapes consécutives du parcours de soin : examens de diagnostic, dispositif d’annonce, phase des traitements et après cancer. Autant le savoir par avance. Car c’est une hécatombe. 61 000 cas ont été détectés en 2023. C’est, pour les femmes, le cancer le plus létal. 12 000 mortes par an.
Naturellement, il faut que ça se voie, que ça s’entende, et c’est encourageant de constater que, chaque année, la mobilisation est toujours plus volontaire et offensive. Nous devons tou·tes être concerné·es par la lutte contre ce fléau, qui peut frapper une (très) proche à tout moment de la vie. Nous devons également nous battre pour que les plans de lutte contre le cancer du sein soient efficaces, car des milliers de vies sont en jeu. D’autant plus que la prise en charge n’est pas toujours à la hauteur de ce qu’il faudrait. Je ne m’épancherai pas davantage, mais j’ai vu de très près ces dysfonctionnements, et j’en retire une impression fort mitigée.
On soulignera néanmoins que cette campagne, quand bien même elle part de bonnes intentions, n’est pas sans limites. Son caractère excessivement « marketing » a été contesté, de même que son usage à des fins de communication de bonne conscience par des acteurs commerciaux et/ou des pouvoirs publics qui, au même moment, n’assurent pas au niveau des moyens. Cela crée des effets d’aubaine. Des chirurgiens plasticiens pour qui une mastectomie est la promesse d’une opération commercialement juteuse (les implants et la reconstruction, ça rapporte) aux diverses spécialités du « bien-être », parfois à la lisière du New Age, qui prolifèrent dans la phase de l’après-cancer : le cancer du sein est devenu aussi un marché lucratif. Mais la plus grande limite est celle qui consiste à traiter le cancer du sein comme une espèce de fatalité individuelle, une « épreuve de vie » qui touche les femmes, alors que, bien au contraire, c’est un mal collectif : une maladie politique.
Tant de réalités brutes et brutales sont glissées sous le tapis. Qu’il s’agisse des conséquences et des causes du cancer du sein. Concernant les conséquences : « l’après », c’est un mot bien commode pour caractériser une variété de situations souvent lourdes. Malgré les rémissions, les femmes n’en sortent pas indemnes. C’est gravé. Le corps a changé (mutilé lorsque l’option de la reconstruction n’a pas été choisie, après la mastectomie), l’esprit est reconfiguré (ça imprime à vie), les rapports aux autres (on reste une « rescapée », une « miraculée », néanmoins sous surveillance, car le mal peut frapper encore), y compris les proches. Le retour dans « la vie normale » n’est pas toujours aisé, les aménagements au travail pas optimaux, les couples peuvent se défaire aussi – ce qui est une cruelle injustice, une double peine pour les femmes quittées par des compagnons égoïstes, y compris pendant le traitement, des femmes laissées seules et sans soutien. L’accompagnement, sous l’angle compassionnel, individualisé, n’est pas la panacée.
S’agissant des causes, là encore c’est entendu. Le cancer du sein n’est pas « naturel ». L’explosion des cas de cancer du sein n’est pas le fait du hasard, d’une calamité spontanée. C’est la société intoxiquée par les produits polluants, les pollutions environnementales, les pesticides, la chimie mortifère à tous les étages, la société d’hyperconsommation. Tout le monde est touché. C’est un raz-de-marée. Ce que confirme cette tribune dans Le Monde signée par 1 000 femmes touchées par un cancer du sein :
« Nous refusons la fatalité. Le cancer du sein peut reculer, à condition de bien en identifier les causes et de mettre en œuvre des politiques publiques en cohérence avec les faits scientifiques. Il nous semble primordial d’opérer des choix d’aménagement et d’urbanisme plus favorables à la santé et de renforcer la législation française et européenne sur les produits chimiques. Il est nécessaire d’intégrer à la campagne octobre rose des actions de sensibilisation sur les dangers des polluants, en particulier pour les femmes enceintes et les enfants en bas âge, car l’exposition à des substances cancérogènes peut avoir des effets délétères des années plus tard. Face à la progression constante des cancers du sein, nous appelons à lutter contre la production de doute et d’ignorance qui entourent la dissémination des perturbateurs endocriniens et autres substances toxiques dans notre environnement. »
Tout est si bien dit. Les causes ne sont pas « naturelles » : c’est une maladie politique, sur laquelle nous devons agir : par la science, contre l’obscurantisme et les intérêts mercantiles de l’agrobusiness (qui nous tuent, qui tuent également les agriculteurs) ; par l’action politique ferme, intransigeante, radicale, c’est-à-dire focalisée sur les racines du mal. Ce n’est PAS une fatalité, dès lors que les causes sont identifiées, comme telles, et qu’on ne s’en tient pas qu’aux seuls effets.
C’est pour toutes ces raisons que, plutôt que les Grands Discours Consensuels d’octobre rose, l’écoute des concernées qui vont bien plus loin dans la compréhension des enjeux, avec d’autant plus de force et de radicalité qu’elles SONT concernées – et consternées à raison. Je recommande, en ce sens, cet entretien (https://www.youtube.com/watch?v=jDZBA_B6FMM) très fort sur Frustration Magazine avec Fleur Breteau, fondatrice et porte-parole du collectif Cancer Colère, mené par l’excellent sociologue et essayiste Nicolas Framont – que j’ai naguère croisé à la fac. Comme beaucoup de monde, j’ai découvert Fleur Breteau, implacable, exigeante, radicale, lors de la campagne contre la loi pesticides FNSEA agrobusiness dite « Duplomb ». Depuis les tribunes publiques de l’hémicycle, à l’issue du vote solennel de cette infâme loi, elle s’est élevée et a interpellé avec force les député·es macronistes, de droite dure et fascistes qui, non seulement l’ont fièrement votée, mais en plus l’ont fait EN SE MARRANT (vous savez, les mêmes hypocrites qui, aujourd'hui, arborent le ruban rose). C’était obscène, choquant, elle a bien fait de rompre la discipline s’imposant aux citoyen·nes : il fallait incarner la sainte colère. « Vous êtes des alliés du cancer et on le fera savoir ! » Elle a raison. Il faut continuer de le faire savoir. Ce qu’elle fait, dans cet entretien riche et percutant durant lequel elle revient sur l’étiologie politique du cancer, et en parallèle avec de nombreuses concernées du collectif Cancer Colère. Il s’étoffe depuis lors, mène des campagnes de terrain, publie des contenus pour alerter. Sans concession. C’est la bonne voie.
Proposition concrète, pour finir : samedi 11 octobre prochain, retrouvons-nous au marché Gaillardon de Melun pour distribuer des tracts du collectif, avec des citoyennes concernées engagées dans ce même collectif. L’idée est de faire beaucoup plus que de la sensibilisation – qui en reste à la surface.



