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Patrick Hetzel nommé ministre de la Recherche : « On devrait en rire, mais c’est tellement loin d’être drôle »


Cette tribune a d'abord été publiée sur le site du journal "Le nouvel observateur". Vous pouvez retrouver la tribune originale en cliquant sur ce lien : https://www.nouvelobs.com/politique/20240927.OBS94211/patrick-hetzel-nomme-ministre-de-la-recherche-on-devrait-en-rire-mais-c-est-tellement-loin-d-etre-drole.html


Pour Arnaud Saint-Martin, sociologue des sciences et député LFI de Seine-et-Marne, la nomination du nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est une aberration, hélas, très prévisible.


La nomination de Patrick Hetzel au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) n’annonce rien de bon. Cadre historique de feu l’UMP, déjà compagnon de route de Michel Barnier pendant les primaires de la droite en 2022 (qui ont sacré Valérie Pécresse, naguère ministre destructrice de l’ESR), mais aussi avocat et maître d’œuvre de la démolition néolibérale de l’université depuis trente ans au moins : le profil et le bilan du nouveau ministre de l’ESR le placent à l’avant-poste.


L’ancien conseiller « éducation et enseignement supérieur et recherche » de François Fillon (parti pantoufler en Russie) est un allié objectif de la macronie et un pur produit de la droite dure. Qui continuera à dépecer l’université comme ses prédécesseurs.


Spécialiste de marketing, discipline pour le moins précaire sur le plan scientifique et académique, il a vite sévi dans les administrations publiques. Il a été recteur de l’Académie de Limoges, conseiller du Premier ministre Fillon, puis directeur général au ministère de l’ESR entre 2008 et 2012, pile au moment où les universités ont été enjointes à prendre le pli de l’« autonomie » – autrement dit : à devenir des succursales du Medef, juste bonnes à former des étudiant·es employables, et à abdiquer toute forme d’indépendance.

Ce CV le classe parmi les « réformateurs » d’un gouvernement de l’ESR – la caste des président·es déconnecté·es et autres bureaucrates de « l’excellence » – contre les communautés universitaires qui, elles, travaillent. Avant sa nomination rue Descartes, Hetzel a été un député bien commode pour la macronie puisqu’il n’a, entre autres faits d’armes, pas voté la motion de censure déposée par le groupe minoritaire Liot après le 49-3 sur les retraites, et qu’il s’est réjoui de la loi « immigration » lepéno-compatible de Gérald Darmanin. Il a certes voté contre la loi de programmation de la recherche, mais c’était obligé tant elle était nulle et non avenue pour quiconque défend encore l’université – sauf les macronistes et l’extrême droite qui n’y entend rien.

Sa nomination n’a rien de surprenant tant la macronie a choisi de s’allier à la frange la plus dure de la droite, à travers laquelle Patrick Hetzel s’illustre depuis de nombreuses années. Bien que peu visibles (c’est un second couteau discret), ses prises positions suffisent à se faire une idée assez précise de sa capacité à gérer les crises que nous traversons. Au moment de la crise sanitaire, sans doute pris de panique comme hélas tant d’autres parlementaires influençables, notre nouveau ministre en charge de la recherche a tenu des positions à la limite du complotisme sur l’hydroxychloroquine raoultienne, les vaccins anti-Covid, ou le port du masque. Il est assez complaisant pour soutenir l’homéopathie.


Ses positions conservatrices l’ont mené à voter contre la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie et les soins palliatifs (loi qui, aujourd’hui, fait pourtant consensus). La santé des femmes ne l’inquiète pas davantage. Il a voté contre la loi sur la constitutionnalisation de l’IVG déposée par Mathilde Panot en 2022, et il a aussi contribué à déposer des centaines d’amendements visant purement à saboter une proposition de loi socialiste en 2021, qui prévoyait l’allongement du délai d’IVG de douze à quatorze semaines. Sexisme et homophobie faisant souvent bon ménage au gouvernement Barnier, il a également pris fait et cause pour la Manif pour tous, comme beaucoup d’autres ministres de ce gouvernement obscurantiste, et a voté contre la loi sur le mariage pour tous en 2013. Pour confirmer encore ce conservatisme réactionnaire et cet attachement aux privations de libertés et au patriarcat, le député du Bas-Rhin a essayé, par voie d’amendement, de freiner l’interdiction des thérapies de conversion, en interdisant aux associations LGBTQIA+ de se constituer partie civile.


Ce rapide bilan pose les bases du personnage : le même qui sera amené à échanger avec les universitaires et les étudiant·es. Si l’enseignement supérieur se porte si mal aujourd’hui, c’est en partie à cause de gens comme Patrick Hetzel, qui prétendent tout en connaître – et le font savoir auprès de leurs collègues parlementaires, hélas, souvent ignares. Artisan de la loi ultralibérale et dévastatrice sur l’autonomie des universités (LRU, 2007), contre laquelle j’ai lutté alors que j’étais précaire de la recherche, Hetzel a contribué à la ruine actuelle de l’enseignement supérieur, à la mise en concurrence des universités, à la sélection et à l’augmentation des frais d’inscription, à la fermeture de dizaines de filières, au sous-financement croissant de la recherche, notamment en sciences humaines et sociales, et à l’immersion du privé dans les universités. Ainsi, l’universitaire patenté (enfin, il n’enseigne ni ne cherche depuis des lustres…) du gouvernement macrono-lepéniste Barnier devrait s’entendre aussi bien avec les néolibéraux macronistes sortis des grandes écoles et des écoles de commerce qu’avec l’extrême droite dont ils dépendent pour survivre sur les ruines de l’ex-nouveau monde.

Ce nouveau ministre a, en effet, relayé et participé à construire les lubies sur « les dérives islamogauchistes dans l’enseignement supérieur » et sur le « wokisme » dans l’université. On devrait en rire, mais c’est tellement loin d’être drôle. On se souvient de cette polémique risible organisée par l’extrême droite et la ministre de l’époque, Frédérique Vidal, largement démentie par l’ensemble de la communauté de la recherche en sciences humaines et sociales. Frédérique Vidal ayant mal digéré les nombreux mois de blocage des universités après son infâme loi sur la sélection, n’appréciant guère certaines recherches en sciences humaines, avait choisi d’enquêter sur ce phénomène inquiétant qu’était « l’islamogauchisme ». Malgré le flop de cette initiative bidon, peu avant la dissolution, le député Hetzel a demandé la création d’une commission d’enquête sur « l’entrisme idéologique et les dérives islamogauchistes dans l’enseignement supérieur ». Nouveau flop. Cinq mois plus tard, il est néanmoins nommé ministre.

Il n’est pas certain que le nouveau ministre ait le loisir de réaliser quoi que ce soit dans un gouvernement d’ores et déjà en sursis, sous la menace de la censure d’une extrême droite qui joue sur du velours et attend son heure. Imaginons qu’il reste en poste quelques mois, il n’a aucune marge de manœuvre budgétaire (l’ESR est un parent pauvre depuis si longtemps) et ne peut qu’accompagner l’aggravation de la crise. Parce que les étudiants qui réfléchissent et se mobilisent lui font peur, parce qu’il veut contrôler la recherche, et continuer de casser le service public de l’université, parce qu’il n’a jamais cherché à répondre à la précarité qui explose partout dans l’ESR, Patrick Hetzel est un fossoyeur de plus. Pour protéger l’ESR, il faudra le censurer.


Par Arnaud Saint-Martin

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