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Toulouse, the space to be ! - Retour sur notre colloque "L'espace : un horizon en commun"

Dernière mise à jour : 21 oct. 2024


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Samedi à Toulouse, à l’Espace Duranti proche de la place du Capitole, devant 300 personnes et 2000 en ligne, nous avons tenu bon le cap lors du colloque de l’Institut La Boétie sur les politiques spatiales. L’ambition fut et reste de sortir de la doxa du « New Space » et de lui opposer une formule politique qui assume la rupture dans l’ordre des pratiques économiques et de la vision capitaliste de la « conquête spatiale ». Ce que j’ai introduit en quelques minutes à l’amorce du colloque, que je reproduis ici en version augmentée à bord du TGV retour.

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Photo du public du colloque le 19 octobre 2024



« L’espace, un horizon commun » : le titre du colloque était en lui-même engagent, et à double titre : à la fois il donne une direction et, sur le plan politique, assume un certain esprit de résistance à l’air du temps. Il est, en effet, d’autant plus nécessaire de définir l’espace comme horizon commun qu’il est livré aux marchands du New Space et aux va-t-en-guerre des forces spatiales qui les nourrissent. Naguère espace d’exploration et d’usages pacifiques, modulo les velléités militaires des puissances spatiales, tant soi peu contenues par le Traité de l’espace de 1967, ce milieu physique est à présent conflictualisé et accaparé par des entrepreneurs mercenaires, sans foi ni loi, qui jouent des coudes pour placer leurs actifs en orbite et en tirer profit. Ce mouvement ne date pas d’hier, il s’est intensifié depuis quelques décennies. Le tournant néolibéral reaganien des années 80, la globalisation des marchés après l’écroulement de l’URSS, l’essor du New Space à la sauce Silicon Valley, etc. : cette séquence approfondit l’évidence d’un crédo.

SpaceX en est l’emblème. L’entreprise du multimilliardaire trumpiste écrase tout, sature l’espace, accélère, quitte par moments à brusquer les régulateurs et surtout à tuer la concurrence. Les chiffres donnent le vertige. Ne serait-ce que les vols du lanceur réutilisable Falcon 9, 356 vols à ce jour, 100 en 2024, dont des missions européennes, par exemple des satellites du système Galileo ; le lanceur assure le déploiement de la méga-flotte de satellites de télécommunications Starlink : 6403 unités aujourd’hui opérationnelles, 87 % du tonnage mondial satellisé au premier trimestre 2024, 70 % des satellites en orbite terrestre basse. Le lanceur hyper lourd Starship, dont le 5e vol fut sans conteste très spectaculaire depuis la Starbase privée de Boca Chica, au Texas, annonce une capacité d’emport de 100 tonnes en orbite basse, cinq fois plus qu’Ariane 6. La perspective d’une croissance exponentielle des marchés de l’espace affole les milieux financiers qui y voient la nouvelle frontière de l’accumulation capitaliste.

Alors, que faire dans ce contexte ? Participer à cette inflation des capacités et des promesses économiques ? Faut-il « spaceXiser » nos organisations, en France et en Europe, dont il est de bon ton, dans les cercles d’initié·es et les décideurs, de regretter le déclassement et le décrochage ? Sous la tutelle de Bercy depuis 2021, celle de Bruno Le Maire pour être précis – enfin jusqu’à son exil suisse –, le spatial français tente un sidérant « en même temps » : d’un côté, le conformisme idéologique (on fait comme Elon Musk !), de l’autre, la préservation plus ou moins assumée d’un modèle qui a fait la grandeur de l’astronautique made in France. Les industriels, quant à eux, et notamment les plus établis, comme Thalès Alenia Space et Airbus DS, annoncent en ce moment même des suppressions de postes massives et scandaleuses (respectivement 980 et 2500). Le matin même du colloque, nous avons échangé avec Thomas Meynadier, délégué syndical CGT chez Thalès Alenia Space, depuis la permanence parlementaire de mon collègue député François Piquemal, et le constat qu’il nous a dressé – et qu’il a réitéré dans son intervention – est accablant : non seulement ces destructions d’emplois sont évitables, mais en plus elles mettent en danger notre capacité à assurer la continuité de service et de construction d’infrastructures stratégiques.

On pourrait continuer à dresser un tableau accablant pour alimenter la sinistrose, mais ce n’est pas le parti que nous avons pris. Nous avons, bien au contraire, envisagé et discuté diverses stratégies pour relever le spatial français. Cela demande de combiner un diagnostic implacable de l’existant, d’une part, et des pistes d’action de l’autre. Dans son introduction, Jean-Luc Mélenchon, coprésident de l’Institut La Boétie, nous a permis de prendre de la hauteur. Trop souvent les politiques spatiales sont déconnectées de LA politique au sens le plus exigeant. Une politique spatiale traduit des orientations, des stratégies, des objectifs, une vision, et tout l’enjeu est de le formaliser dans un discours cohérent et qui voit loin. On doit à Jean-Luc Mélenchon d’avoir pris au sérieux politiquement l’astronautique, et de longue date, d’en avoir fait un thème de campagne et même un chapitre de programme – à savoir, le dernier chapitre de l’Avenir en Commun. Il l’a mis à jour et, ce faisant, dégagé quelques pistes que nous nous efforcerons d’approfondir les temps à venir. Je retiens, notamment, la proposition de loi sur la lutte contre la pollution lumineuse, qu’il faut relancer ; la bataille idéologique à mener sur le front de la nouvelle course à la Lune, qui pourrait passer par une réactivation du Traité sur la Lune de 1979, que la France n’a hélas pas ratifié alors, ce qui est d’autant plus dommageable qu’il porte une autre vision de l’exploration spatiale, valorisant les usages pacifiques et le partage équitable des ressources spatiales comme autant de communs de l’humanité ; l’exigence également de la démilitarisation contre les scénarios catastrophes d’une nouvelle guerre des étoiles. Il est à noter, enfin, qu’il nous a confié une mission : organiser un comité insoumis de l’espace au sein de l’Institut La Boétie. Les contours et les objectifs sont à préciser, mais le défi s’annonce passionnant !    


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Introduction de Jean-Luc Mélenchon au colloque du 19 octobre 2024 à Toulouse



Les deux tables rondes ont permis de progresser dans ce sens : la première, animée par Anne Stambach-Terrenoir et Hadrien Clouet, a concerné la conduite et la programmation des activités spatiales, sous l’angle des politiques industrielles. Les intervenants, experts dans la conduite des projets spatiaux, au CNES et dans l’industrie, ont souligné la nécessaire mise en œuvre d’une approche stratégique et planificatrice des activités spatiales, en rupture avec la vogue de l’entrepreneuriat et de la mode de la start-up. La grève très suivie du printemps 2022 au CNES à Toulouse fut un moment de re-saisissement inédit, ce qu’on rappelé Damien Desroches et Éric Peschot, délégués de la CGT de l’agence spatiale française. Une autre voie est possible, non plus guidée par une vision purement économique, mais guidée par le service public et l’intérêt général, au moyen de missions scientifiques et de recherches technologiques dont les objectifs sont bien contrôlés en amont, comme l’a souligné Éric Boussarie, ancien chef de projet au CNES. C’est, du reste, une clé pour continuer à susciter l’enthousiasme et l’engagement des jeunes générations d’ingénieurs qui s’interrogent sur le devenir et le sens de l’astronautique, comme l’a résumé Timon Vicat, membre de l’association Aéro Décarbo.

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1ère table ronde du colloque avec (de gauche à droite) : Timon Vicat, Thomas Meynadier, Hadrien Clouet, Anne Stambach-Terrenoire, Éric Boussarie, Éric Peschot



La seconde, animée par Emma Fourreau et François Piquemal, a envisagé la planification écologique du spatial, à corréler à la planification spatiale de l’écologie. Loïs Miraux et Eliott Marceau, ingénieurs concernés, ont décrit par le menu les enjeux de « l’écologisation » du spatial, qui se heurte à la croissance exponentielle des activités. Un effort indispensable doit être engagé pour financer des recherches indépendantes sur l’empreinte environnementale des technologies spatiales, à toutes les étapes du cycle de vie de celles-ci. La rentrée atmosphérique des satellites est à évaluer dans cette perspective, et d’autant plus que des milliers de satellites à durée de vie courte (5 ans) sont appelés à accélérer leur rentrée dans l’atmosphère – qui est une source de pollution importante. Damien Desroches, délégué CGT du CNES, a insisté sur la nécessité de prioriser dans le choix et la mise en œuvre des missions, tandis que Dorian Groll, doctorant en étude des sciences à l’EHESS, a mis l’accent, lui aussi, sur l’importance critique des programmes d’observation de la Terre comme Copernicus. Une leçon politique à en tirer est qu’il faudrait, plus que jamais, hâter la mise en place d’une planification industrielle pensée selon les besoins les plus urgents et nécessaires, dans le contexte de dégradation accélérée des conditions d’habitabilité de la Terre, la seule planète qui vaille pour l’espèce humaine.


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2ème table ronde du colloque avec Loïs Miraux, Eliott Marceau, François Piquemal, Emma Fourreau, Dorian Groll



Une ultime table ronde, que j’ai animée, a ouvert la réflexion sur ces enjeux, en compagnie d’Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS, spécialiste reconnue de la géographie de l’occupation de l’espace, fine connaisseuse du spatial russe et du spatial chinois, et Irénée Régnauld, consultant et essayiste, chercheur associé au laboratoire COSTECH de l'Université de Technologie de Compiègne, spécialiste des controverses et débats sur les technologies en société, notamment les technologies numériques. Là encore, nous avons tenté de cerner l’existant pour étudier les modalités de transformation, dont les modalités sont intrinsèquement politiques. Tout est à repenser : la place de la France dans le concert des nations spatiales, son insertion dans la « nouvelle course à l’espace », encouragée par les perspectives de la conquête de la Lune 2.0, la saturation de l’orbite terrestre basse, etc. Nous avons discuté également des questions de gouvernement et d’architecture de la décision en matière de politique spatiale. Que le spatial soit sous tutelle de l’économie n’aide pas, selon moi, une pleine maturation d’un autre modèle de gouvernement et de conduite des activités spatiales. C’est, en filigrane, la place et la vocation du CNES qu’il s’agit de refonder.

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3ème table ronde du colloque avec Isabelle Sourbès-Verger, Arnaud Saint-Martin, Irénée Regnauld


Tout est à retrouver dans la vidéo qui a été tournée en direct. Merci encore à tou·tes les militant·es et camarades qui ont aidé dans la préparation et l’organisation de ce colloque très réussi et qui s’est poursuivi les heures suivantes jusque tard dans la nuit. On l’aura compris, c’est une étape de plus dans la construction d’une autre vision de l’occupation humaine de l’espace. Qu’il faudra consolider encore et encore.



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